AMOR EM RUÍNAS
2023 – Installation et performance – Dahlewitz, Allemagne
Culterim Galerie
Je soupçonne que l’amour contient une exubérance excessive de la vie, où, autour de la
table, d’innombrables histoires s’entrelacent, imaginent des avenirs et érotisent les rencontres. Ce
sont les dîners de promesses, les cafés de l’après-midi chargés de secrets, les matins où le café
soutient les espoirs. Autour de la table, des alliances se consacrent : demandes en mariage, unions,
pactes d’engagement. Couverts, assiettes, porcelaines, témoins silencieux de ces célébrations qui
transforment la routine en un autel pour l’amour. Les pièces de la maison, ces sanctuaires de
l’intimité, conservent les détails de la passion, les tempêtes de l’abandon amoureux, les petits
gestes qui soutiennent les grands abîmes entre les corps.
Mais que se passe-t-il quand tout s’effondre ? Quand l’amour s’écroule ? Quand survient la
chute, l’effondrement, le collapse ? Quand nous nous sentons ni vivants ni morts, ou les deux à la
fois ? Quand tout se brise ?
Ce qui reste de cet élan vers l’autre, c’est la ruine.
Les couverts, les théières, les tasses et les assiettes survivent comme des fragments d’un
temps qui n’est plus ; ils sont devenus des reliques d’une esthétique de l’amour perdu. Ce sont des
souvenirs, des fragments tangibles d’un attachement qui, en disparaissant, laisse derrière lui non
seulement un vide, mais aussi un écho qui résonne dans la matière des choses, dans le silence des
objets qui autrefois partageaient l’intimité des corps et l’éloquence des gestes. Le mal s’infiltre dans
les recoins des murs, là où l’amour tente encore de s’accrocher, et ce mal n’a ni odeur, ni couleur,
rien pour le trahir ; il arrive comme le vent, invisible, mais qui fait trembler les fenêtres. Dans le
silence des briques qui se fissurent, dans le cri muet des fenêtres qui ne se ferment plus, dans les
meubles qui cèdent sous un poids que personne ne porte, mais que tous ressentent, une lassitude
des choses, comme si elles-mêmes savaient qu’il ne valait plus la peine de rester debout.
Entre deux murs, il y a toujours un vide. Entre deux corps aussi. Les murs sont et ne sont
pas des murs, une peau de pierre fragile malgré leur apparente solidité. Et qu’est-ce qu’un corps
sinon une architecture en mouvement, érigée pour désirer et qui parfois s’effondre également ? La
rupture ! Et l’univers s’organise pour que tout, même les choses les plus solides, mette en évidence
le vide qui existe entre les murs et les corps, un vide immense, dévorant, un espace qui résonne
des mémoires devenues échos, une absence qui devient palpable, comme si chaque recoin du
corps, soudainement, portait le poids des promesses non tenues, des paroles suspendues, laissant
entre les murs de la chair le même silence qui s’installe entre les briques lorsque les histoires se
terminent.
La maison qui est désormais connue pour être hantée, non par des fantômes, mais par des
fragments d’elle-même et des autres, par des morceaux oubliés ou volontairement abandonnés
dans le chaos quotidien. En elle, le temps semble suspendu, non pas arrêté, mais étiré, étiré
comme une corde, où l’on peut marcher, ou trébucher et tomber à nouveau. Diffuse comme la
lumière qui entre à travers une vitre sale, c’est une douleur sans localisation claire. Cette douleur,
sans nom précis, habite les éclats, les souvenirs, les amours consumés, les gestes contenus, et
surtout ces désirs interdits qui, dans leur propre interdiction, ont une densité presque insupportable.
Mais marcher à travers la ruine peut aussi être accueillant. Cette douleur a une esthétique, celle du
désastre... sûre par sa promesse d’intimité, mais dangereuse par ce qu’elle peut faire émerger à la
surface.
L'installation et la performance intitulées "AMOUR EN RUINES" sont nées lors d'une
résidence artistique à Berlin, à la Culterim Residence, où le temps et le feu avaient laissé leurs
marques dans une maison qui, déjà en ruines, est devenue le théâtre d'une réflexion sur la fin de
l'amour. La maison, marquée par l'usure et la destruction, a été transformée en un espace chargé
de symbolisme, où chaque coin et chaque détail avaient pour objectif de raconter le mal qui ronge
l'amour et les corps, tout comme il ronge les murs fissurés, les fenêtres brisées... Plus qu'une
installation, "Amour en ruines" était une traversée, une rencontre avec les vestiges d'un sentiment
qui s'était effondré, mais qui, même en ruines, laissait des marques sur les corps, dans les
mémoires et sur les murs d'une maison qui avait été un foyer. Dès l'entrée, les visiteurs étaient
accueillis par une lettre, lue à voix basse, presque comme un murmure, les invitant à franchir le seuil
de l'intimité d'Edwarda. Dans la pièce au fond, elle attendait pour une action performative : sur les
éclats de porcelaine, elle mettait en scène la tentative frustrée de préparer un café de l’après-midi.
Entre la rupture des pièces qui étaient encore entières et l'acte féroce de dévorer un gâteau, ses
gestes oscillaient entre violence et érotisme, composant un acte viscéral de désir, douleur et
d'absence.